jeudi 6 octobre 2011

Bon, finalement, pour qui on vote ?


Ici, je vais tenter de réfléchir tout haut : tout ça c'est bien beau, mais pour qui vais-je voter ? Il ne s'agit pas d'un « come-out » mais bien de finaliser, bon gré – mal gré et pour un temps, une réflexion, qui est pour moi passionnante et ne s'arrête pas ce soir. Vous pouvez lire la page « Histoire et pedigree » pour comprendre d'où je sors et d'où je parle, si vous voulez.
Quelqu'un disait : « nous avons le choix entre un candidat de l'alternance, F.H. et un candidat de l'alternative ». Du coté de l'alternative, je vois M.A. et A.M..
M.V. parle vrai, dont acte, mais son parler vrai revient trop, à mon goût, à se résigner à limiter notre action à ce qui ne dérange pas trop les marchés. S.R. conserve à mes yeux une réelle attractivité, elle a de bonnes idées, un bilan réel sur le terrain, une attitude plus coopérative avec ses pairs (qui, eux, l'ont maltraitée plus qu'à son tour), mais un je ne sais quoi de trop mystique m'éloigne d'elle. J-M B. est aussi utile au débat, son accent terroir me plaît plus qu'il ne me fait sourire, mais je ne le vois pas trop aux commandes.
Il me reste donc à choisir entre François, Martine et Arnaud.
Alternance ou alternative ?
Disons que l'alternance se fait par le mouvement de balancier de la lassitude des peuples, souvent plus par rejet que par adhésion, ou par cette intuition de bon sens que toutes chose égales d'ailleurs, mieux vaut ne pas laisser les gouvernants trop s'incruster, ils pourraient en prendre trop à leur aise. Mais l'alternance n'est pas l'adhésion à un « vrai » changement, tous les sortants menacés vous diront d 'ailleurs qu'elle menace la mise en œuvre complète des bonnes solutions, les leurs, qui étaient le changement, la modernité, il y a quelque temps.
L'alternative, c'est un changement plus systémique, c'est « changer le logiciel », non pas faire plus ou mieux de la même chose, c'est changer de logique. Martine parle d'une nouvelle civilisation, Arnaud parle d'un moment historique où il faut se libérer de la dictature de la finance, François parle de retrouver le rêve français, ce n'est pas le même discours. Bon, tout ça c'est des mots. Pour moi, ce qu'il faut conserver, ce n'est pas nécessairement le capitalisme, mais l'existence de multiples acteurs économiques indépendants, d'entrepreneurs distincts (qui peuvent même être collectifs, c'est à dire plusieurs à décider ensemble), par opposition à un centre de décision soit disant unique, l’État. On ne croit plus dans le dirigisme à la papa, mais en l'existence, en superposition des marchés, de stratèges régulateurs aussi cohérents que possible mais sans doute multiples (Régions, États, Europe) qui donnent des perspectives, des incitations, des bornes. Qui laissent la place au contrat cher à la pensée de droite (de droite honorable), mais ne laissent pas imposer des contrats inégaux, léonins (le contrat du lion avec la gazelle : ne cours pas trop vite, je ne te mangerai que si j'ai faim) ; empêcher de tels contrats se fait entre bailleurs et loueurs de logement, merci à la République. Le droit du travail, ces horribles contraintes (comme le disent les "modernes" libéraux) joue aussi un rôle de ce type.
Bon, je crois vraiment que François est plus du coté de l'alternance, parce qu'il ne semble pas très désireux de contribuer à construire un autre « logiciel ». Pourquoi je préfère l'alternative ? Parce que je crains que l'alternance, n'ait que des effets correcteurs fugitifs, le temps que la phynance ne corrige sa stratégie et que le peuple se fatigue des efforts demandés. Parce que je crois qu'on ne peut faire l'économie de réduire le poids dominant des marchés, parce que je crois que taper sur les agences de cotation est ridicule (en tous cas illusoire), les marchés dérégulés conservant le pouvoir en construiront d'autres plus discrets. L'existence durable d'acteurs économiques indépendants et capables d'initiative n'exige pas que le moteur dominant de leurs décisions soit l'intérêt des seuls actionnaires, comme on veut nous le faire croire. Il est nécessaire de construire des mécanismes où, dans l'esprit de la phrase précédente, on permette et même favorise la mise en œuvre d'acteurs plus responsables, plus équilibrés, plus humains, et ça, ça s'appelle l'alternative.
Donc, exit François de la tête de ma liste de choix. Restent Martine et Arnaud. Bon, zut alors, je les aime tous les deux. Faisons un petit détour.
Un peu plus à droite ou un peu plus à gauche ? Alors là, franchement, ce n'est pas mon problème : je lis « Les Échos » tous les jours et j'ai vu le regard horrifié d'un leader socialiste (une dame) à qui je disais ça. Comprendre le business n'est pas une tare ; être cupide en business (dirigé par un indicateur unique : les dividendes aux actionnaires) en est une. Le « balanced scorecard » (tableau de bord équilibré, cherchez sur Google) est déjà moins primitif. L'ignorance ou le mépris du business n'est pas une vertu. Centrisme ? Oui, au sens où je pense que des personnes de culture centriste, voire d'origine de Droite peuvent comprendre que le libre-échange déréglementé devient aussi dérégulé (fou) parce que les marchés ne sont pas toujours – c'est un euphémisme – efficients, et assurément pas bien régulés pour le ou les peuples. Je pense que nous pouvons dans des domaines importants coopérer même avec des gens à qui la gauche donne des boutons ; sur ce point, Manuel a raison, ainsi que Ségolène ; Arnaud le dit aussi, d'ailleurs. En revanche, penser que le capitalisme est aménageable mais indépassable n'est pas ma tasse de thé. Imaginez-vous que même dans les Échos, il y a des gens qui évoquent un tel dépassement ; il y en a aussi dans des cercles chrétiens, pas seulement du coté de la « théologie de la libération ». Alors les sociaux-démocrates qui sacralisent le capitalisme, et considèrent comme du gauchisme irresponsable de critiquer plus que les excès de la finance, je ne suis pas d'accord, y compris en constatant que la Chine a adopté une sorte de capitalisme. Autrement dit, ce n'est pas mon problème d'apparaître droitier aux uns, gauchiste aux autres : dépasser nos repères anciens n'est pas nécessairement source de pensée chaotique ou incohérente. Lisez Yunus, par exemple, ou Gaëtan Gorce. Si la pensée ne valait que par sa projection sur un axe mono-dimensionnel unique, gauche-droite, ce serait trop facile. Donc : lorsque je compare François, Martine et Arnaud, mon problème n'est pas de les classer sur un axe gauche-droite. Mon problème est d'examiner s'ils apparaissent plus porteurs d'avenir et de progrès social durable.
Martine est ouverte à une vraie alternative, comme le prouve notamment son bouquin « pour changer de civilisation » (voir notre bibliographie) ; elle a fait un bon travail à la tête du PS et en fera encore, là ou ailleurs, j'espère. J'apprécie aussi son travail sur le care (le soin). Mais il me semble que sa proximité avec Dominique (SK) , bien qu'elle ait pris des distances, jette un doute sur sa volonté de lutter vraiment contre les marchés financiers ; peut-être veut-elle seulement lutter contre leurs « excès » ?
Arnaud fait parfois des approximations trop rapides, comme plusieurs notes de la rubrique désintox de Libé l'ont fait remarquer (par exemple sur la mesure de l'insécurité ou la situation de EADS) ; mais je pense que c'est lui qui est le plus porteur de ma conviction : l'existence durable d'acteurs économiques indépendants et capables d'initiative n'exige pas que le moteur dominant de leurs décisions soit l'intérêt des seuls actionnaires.
J'ai voté oui comme Martine et non comme Arnaud au référendum sur la constitution européenne, parce que je pensais qu'il valait mieux donner du pouvoir à l'Europe, même dirigée par des libéraux quasi ultras. Mais je pense maintenant deux choses : Arnaud a raison de dire que nous autres européens sommes les seuls à nous abstenir naïvement de défendre nos forces productives – nos entreprises – et je crois que sa pensée fondamentale n'est pas de conserver une autonomie nationale illusoire ; il vise une Europe capable de décision, il vise de sortir de notre situation de géant économique et nain politique. Il connaît la finance (souvenez-vous de son travail sur les paradis fiscaux). Il est capable de prudence, de tactique, de patience. Il nous ouvre, je crois, la perspective de changer de logiciel. J'estime que ce choix est plus durable qu'un choix plus « modéré » qui ne peut manquer de décevoir à terme.
A moins qu'un ange ne passe dans mon sommeil dans les trois jours qui viennent, je voterai pour Arnaud Montebourg.
Je refuse absolument que mon choix exclue mes amis, mes camarades qui font un autre choix : nous allons nous battre ensemble, non seulement pour que le sortant sorte, mais surtout pour retrouver le progrès solidaire. Je continuerai d'écouter quoi qu'il arrive, et de lire les écrits de plusieurs leaders socialistes. Les bonnes idées ne viendront pas d'un seul endroit. Mais mieux vaut choisir une source que l'on estime plus féconde. J'ai et j'aurai encore des amis qui feront un autre choix (j'en connais même qui voudraient voter Juppé, les pauvres, ils vont devoir attendre, mais ceux là ne sont pas mes amis politiques). Terra-Nova a tenté de proposer une procédure moins centrée sur une personne unique. On n'a pas réussi cela. Peut-être faudra-t-il attendre la sixième République. Dès aujourd'hui, les primaires sont un progrès dans le débat ouvert à tous les citoyens.

2 commentaires:

PS 91 Bièvres a dit…

Me relisant cette nuit, j'ai ajusté le texte où l'on évoque ce que l'on peut vouloir changer dans l'économie de marché.

PS 91 Bièvres a dit…

Paradoxe : alors que la plupart d'entre nous étaient prêts à voter DSK sans ses aventures ancillaires, voilà maintenant que s'être concerté avec lui apparaît comme un élément négatif. Quoi qu'il en soit, mieux vaut qu'il reste dans le désert. Le basculement de son impact dans nos esprits reste étonnant.