Olivier Ferrand
Le même jour, j'ai reçu
un mot d'Olivier Ferrand à ses « amis facebook »
disant : « Olivier Ferrand a ajouté un emploi :
Assemblée Nationale à son timeline » et j'ai appris
qu'il était victime d'un arrêt cardiaque après un jogging matinal
près de sa maison de famille dans les Bouches du Rhône, là où il
vient – il venait - d'être élu. C'est davantage qu'une minute de
silence que cela a déclenché chez moi. Certes il n'était pas un
intime ; seulement un expert que Michel Yahiel a fait venir l'an
dernier à Bièvres pour parler d'Europe ; seulement un homme
politique « différent » avec qui j'ai dîné un soir -
avec une trentaine d'autres – à la Rochelle, avec qui j'ai eu
quelques brefs échanges, dont j'ai lu un livre (L'Europe
contre l'Europe : Appel à une nouvelle génération européenne)
et quelques articles ; seulement un élu des Bouches du Rhône,
comme mon grand père (Dominique Duverger) l'a été du temps de la
SFIO d'avant le congrès de Tours ; seulement un socialiste peu
enclin aux jeux d'appareils, comme je le suis ; seulement un
homme réfléchissant vraiment à plusieurs questions ;
seulement le fondateur d'un collectif de réflexion que j'ai rejoint,
Terra Nova.
Olivier Ferrand a pris une part significative dans
l'effort que plusieurs ont fait pour reprendre calmement quelques
questions actuelles, parfois fondamentales, pour rénover le PS, pas
d'un coup de com, mieux que ça. Il a heurté des sensibilités, la
mienne parfois. Il a fait partie des gens qui ne croient guère à un
changement fondamental, passant du capitalisme à (tout) autre chose.
Je fais partie des gens qui n'attachent pas une telle importance au
« socialisme réel » se réclamant de la pensée
communiste qu'ils estiment que la seule alternative possible au
capitalisme étant le communisme à la Brejnev, il en résulte que le
capitalisme est indépassable et donc éternel. La chute du mur, l'échec du "communisme" n'impliquent pas qu'il n'y a rien hors du capitalisme. Je pense qu'il
convient de le dépasser. Ce qui n'empêche pas de le réformer. On
en reparlera. Avec Olivier Ferrand, on pouvait réfléchir calmement,
analyser et proposer. Nous lui devons de continuer.
Je suis allé hier après-midi 4 juin à la
cérémonie d'inhumation d'Olivier Ferrand. Ni fleurs ni couronnes ;
ceux qui veulent participer peuvent envoyer des dons à
l'intersyndicale de LyondellBaseul à Berre (à l'ordre de ADRSPB),
cela sera cohérent avec l'engagement d'O.F. pour ces personnes
menacées par la fermeture de leur site. Saint Sulpice est plus belle
à l'intérieur qu'à l'extérieur. La nef était pleine ; j'ai
reconnu Michel Rocard, Lionel Jospin, Claude Bartolone, Manuel Valls
et quelques autres. Le prêtre officiant a évoqué Terra Nova, qui
est aussi terre de justice dans l'apocalypse biblique. Jospin, Valls,
Bartolone ont pris la parole après la famille. Tous ont souligné sa
volonté, son ouverture, sa capacité à comprendre et à agir. Les
derniers mots de Bartolone ont été quelque-chose comme « les
larmes de l'Assemblée Nationale accompagnent un fils aimant, un fils
aimé ». Beaucoup de costumes et de robes sombres, quelques
tâches de couleur de robes d'été. Une émotion véritable,
partagée. Puis le retour vers le RER, à travers le jardin du
Luxembourg. Olivier Ferrand était une personne de grande qualité.
Le boson de Higgs
La matière est faite de particules généralement
stables et d'autres qui incarnent et médiatisent les interactions électromagnétique, forte et faible ainsi que la gravité. Le
médiateur, dans la gravité, est prévu comme probable depuis 1964,
dans ce que l'on appelle le modèle standard ; c'est le boson de Higgs.
Mais on ne l'avait pas « vu ». Compte tenu de son poids –
plus de cent fois celui d'un proton, 125 Gev – il est difficile à
isoler et l'on n'observe, compte tenu de sa durée de vie, que la
gerbe des produits de sa décomposition. Il y a moins d'une chance
sur un million pour que les observations faites au CERN ne soient
qu'une fluctuation statistique. Le CERN abrite sous la frontière franco-suisse le plus
grand accélérateur de cette planète, le LHC. Plus les
accélérateurs sont grands, plus ils voient de petites choses ou des
choses lourdes. A quoi ça sert ? La quête de l'humanité pour
comprendre la nature est sans fin. Nous ne nous contentons pas d'un
sac de lois indépendantes considérées comme immuables, nous
comprenons de mieux en mieux comment elles s'articulent et d'où
elles sortent. Cela donne des connaissances solides, mais toujours
questionnables. Le « modèle standard » est fortement
renforcé : sa capacité à prédire la particule lourde et
cependant évanescente qui rend compte de la masse est
impressionnante. L'histoire n'est pas terminée, ici n'est pas le lieu
de développer. L'extrême difficulté de ces recherches, y compris
d'un point de vue technique, a des retombées technologiques, un peu
comme la recherche militaire ; à part que c'est moins dangereux et
mieux partagé. En revanche, les retombées pratiques du boson de
Brout-Englert-Higgs ne sont pas prévisibles aujourd'hui.
L'accroissement de la robustesse du modèle standard renforce la
crédibilité de ce que nous croyons savoir de l'histoire et du
devenir de l'univers dont la planète bleue est l'infime partie où
nous vivons. La matière et les interactions « noires »
restent inconnues pour l'essentiel. Le monde dont on parle ici n'est
pas le monde des physiciens, mais bien celui où nous vivons
tous ; les physiciens nous proposent des lunettes pour en
comprendre deux facettes, paradoxalement le très petit et le très
grand. Notons que le monde est, un peu comme le langage (lettres,
phonèmes, mots, phrases, discours) un empilement de couches portant
chacune des propriétés émergentes de plus en plus
difficiles à expliquer par la couche du dessous : particules
« élémentaires », atomes, molécules, micro-biologie,
biologie, sciences sociales. La découverte du boson de Higgs
manifeste le succès de la coopération de personnes de grande
qualité.
Carmignac
Monsieur Edouard Carmignac, financier de son état, publie dans Le Monde daté
d'aujourd'hui une pleine page où il explique à Monsieur François
Hollande, calmement mais fermement (LOL), en quoi « Hélas,
les projets annoncés par votre gouvernement ne vont pas en ce sens
(réformer notre pays en profondeur pour l'aider à faire face aux
imposants défis qui l'attendent) et constituent une accumulation de
menaces funestes. La mise en place d'une fiscalité confiscatoire
décapiterait les états-majors de nos entreprises, accélérant
l'exode de leurs dirigeants... l'augmentation du Livret A
faciliterait certes le placement de la dette publique, mais
engouffrerait une part accrue de l'épargne populaire dans un
placement à la rentabilité médiocre ». J'en passe.
Rappel : le livret A sert surtout à financer
des logements sociaux ; il en manque.
Vous vous souvenez peut-être que j'ai écrit,
plusieurs fois, que la victoire électorale de la gauche, socialistes
en tête, allait ouvrir une période de cohabitation avec l'autre
pouvoir, celui de la finance. Nous y voilà.
Les revenus des dirigeants du CAC40 représentent
240 SMIC. Il est vraisemblable qu'une partie des dirigeants actuels
des grandes entreprises soient bons, voire excellents, à extraire
une part croissante et indécente de la plus-value vers eux-mêmes et
les grands détenteurs de la finance. Les entreprises ne pourraient
être dirigées que par des cupides et pour des cupides ? Le
seul vrai moteur des gens intelligents ne pourrait être que les
intérêts personnels, les leurs et ceux pour qui ils travaillent ?
Nous ne le croyons pas. Il n'y a pas que des Carmignac ; il y a
aussi des Ferrand, des Higgs et même des entrepreneurs qui
travaillent pour tous les porteurs d'enjeux, pour qui l'éthique a un
sens. J'en ai connu un, un certain Louis Schweitzer, il y en a
d'autres, déjà identifiés ou qui vont se révéler. Le dogme selon
lequel les plus avides sont les plus compétents est une erreur ou
un mensonge, on peut hésiter ; les deux, peut-être. Si vous
voulez lire de bons auteurs à ce sujet, voyez Joseph Sitglitz, ou
Jérôme Maucourant, par exemple dans « Avez-vous lu
Polanyi ? ». Que les cupides partent ailleurs, je ne crois
pas qu'on y perde.
Pouvoirs
Nous n'avons pas de baguette magique pour augmenter
significativement les revenus des travailleurs, seulement quelques
moyens très modérés dans l'immédiat et quelques idées. Le
pouvoir économique appartient d'abord à la finance. Nous ne sommes pas leurs complices ; c'est en tous cas l'avis de Monsieur Carmignac. Nous avons
« seulement » le moyen de casser les liens de complicité
entre le pouvoir politique et le pouvoir financier. De travailler
avec deux mains : l'une corrigeant ou atténuant les injustices
les plus insupportables, l'autre construisant dans les esprits
ouverts et dans des fragments de réalité d'autres entreprises,
d'autres gouvernances, qui ne soient pas motivées d'abord, voire
exclusivement, par le profit des détenteurs de capitaux. J'entendais
un économiste tchèque dont je n'ai pas capté le nom, bon
pédagogue, dit-on, expliquer qu'il ne fallait pas dépenser plus que
l'on gagne (c'est expliqué dans la Bible), et que cela ne signifiait pas que le capitalisme était
condamné, seulement celui qui veut croître à tout prix. Cet homme
a « connu le communisme » et n'en veut plus. Il n'a pas
encore bien compris, semble-t-il, que le capitalisme financier
rassemble de plus en plus de pouvoir et organise ses efforts et les
nôtres pour « améliorer les processus » et déplacer
les capitaux de manière à optimiser ses gains, point à la ligne. La culture de la gouvernance moderne, sa littérature, ses
séminaires, ses experts, ses formateurs, ses simulateurs, ses
indicateurs, servent cet objectif unique. Cela implique la
croissance, cela implique le confinement de l'écologie au
développement de nouveaux business « verts », cela implique l'indépendance de l'économie, ou plutôt le renversement de l'enchâssement : l'économie n'est plus enchâssée dans la société, c'est la société, et le pouvoir politique, qui sont enchâssés dans l'économie.
Le gouvernement socialiste ne relève le SMIC que de
2 %, de quoi acheter un carambar par jour, dit-on. Le
gouvernement n'est ni en mesure ni désireux de prendre en charge le
gros des forces productives. Il peut modifier une partie du contexte,
il peut aider à résister au transfert continu de la valeur ajoutée
vers les 1 % les plus riches. Nous avons plusieurs voies de
progrès. Résister au processus de transfert du pouvoir dans les
entreprises vers les acteurs des « centres de profit »,
au détriment de ceux qui pilotaient le progrès technique, qualifié
de « centres de coûts » auxquels on ne demande plus que
de les réduire, ces coûts ; les compteurs de haricots
prétendent diriger la technique et la recherche, entre autres.
Construire, parfois reconstruire, une gouvernance équilibrée entre
les différents porteurs d'enjeux : les clients, la planète,
les travailleurs, les actionnaires, la société environnante ;
vaste programme. Corriger, notamment par la voie fiscale, les
invraisemblables transferts de plus-value vers les actionnaires ou
les haut dirigeants ; oui, les décourager ; cela permettra
peut-être le développement de nouveaux dirigeants et entrepreneurs.
Faciliter le développement d'entreprises sociales et solidaires.
Refuser le processus par lequel on ne peut maintenir quelque sécurité
pour tous que par l'endettement de nos successeurs.
Nous avons beaucoup d'intelligence et de forces
productives sous-employées, des hommes et des machines. Nous n'avons
pas besoin de piller la planète, ni de transformer les ouvriers en
sportifs de haut niveau, ni d'exclure ceux qui n'en peuvent plus, ni
de voir bien des cadres tenter de trouver une échappatoire dans une
PME proche du tourisme.
Les services
publics produisent de la valeur pour tous. Un peu plus
pour les 1 % que pour les autres, bien sûr : ils voyagent
plus, ils vont plus au théâtre, ils se soignent davantage, mais
pour tous quand même. Ils ne sont pas seulement un coût, comme les
ultra-libéraux veulent nous le faire croire. Certes, une grande
partie de la valeur est produite dans les entreprises. La
« destruction créatrice » ne fonctionne plus très bien.
Elle devient destruction tout court.
L'intelligence digne d'intérêt n'est pas d'abord
celle des cupides. Beaucoup de pages et autres signaux vont tenter de
nous le faire croire. Il n'en est rien.